Qui sera ma colocataire ? [libre] [Fini]

Leona, comme à son habitude, était fatiguée. Traînant les pieds, elle était pour une fois sans gardien sur le dos. Raven était en ballade on ne sait trop où, Ellie profitait des vastes étendues du ciel, et Zlark devait certainement manger quelque chose trouvé au hasard. La jeune femme entra dans sa nouvelle chambre. Elle était sobre, et de ce fait elle n'était pas de mauvais goût. Deux lits superposés offrants quatres couches en tout étaient installés aux deux extrémités de la pièce. Quelques petits rangements étaient cachés dans les coins de la salle, et si on voulait faire ses devoirs dans sa chambre, on devait certainement poser ses cahiers sur ses genoux. L'idée plaisait à Leona. Dans un recoin, une salle d'eau regroupant les toilettes et la douche était mise à la disposition des élèves. Le tout était très modeste, voir petit, mais cela suffisait à un quatuor de jeunes filles. Après tout, à l'inverse de Leona, la plupart des lycéennes sont pleines de rêves d'évasion : elles ne devaient probablement pas passer leurs journées dans ces chambres là. La jeune femme jeta son sac contre le mur, et investi le lit du dessous à la gauche de la porte d'entrée.

*Je vais peut être pouvoir me relaxer un instant.* se dit la lycéenne.

Assise sur le matelas couvert d'un drap blanc, elle regarda par la vitre. Le ciel était beau, et le soleil rayonnant. De ce fait, la pièce était bien éclairée et agréable. Elle sentait malheureusement un peu le renfermé, et décidant d'arranger ce point, Leona se leva pour ouvrir la fenêtre. Lorsque cela fut fait, elle se pencha sur le rebord pour regarder au dessous. Cette décision était absurde, puisque la jeune femme savait pertinament qu'elle avait le vertige. Grimaçant, elle se concentra sur les nuages flottant nonchalemment dans le ciel. Leona s'ennuyait à mourir. Que pouvait-elle bien faire à présent ?

*Je suis presque pressée s'assister aux cours ...* pensa-t-elle en soupirant.

Visage appuyé sur sa main, elle ferma les yeux afin de profiter du petit courant d'air qui s'installait petit à petit. En les rouvrant, elle constata qu'Ellie survolait la cour. Elle volait incroyablement bien et était souple, même sur le dos elle gardait son équilibre et la lueur qui émanait d'elle faisait penser à celle d'une luciole. Leona se lassa vite de ce ballet aérien. Il faut dire qu'elle y avait souvent droit, étant donné que sa gardienne ne la quittait jamais. Aujourd'hui, ses cicatrices lui faisaient mal, signe que le lendemain il allait pleuvoir. Superstition pour certains, cette hypothèse s'était révélée vraie à chaque fois pour Leona. Elle avait également confiance en un proverbe allemand qu'elle avait apprise en primaire : "Wen's heute regnet das es blasen schlagt regntes auch am nägsten tag." Autrement dit, si la pluie fait des bulles en atteignant le sol, il allait pleuvoir le lendemain. Ces deux indices étaient les seuls en lesquels Leona avait confiance et pour cause : elle était scientifique dans l'âme. Tout devait lui être prouvé par A plus B. Se laissant tomber sur le lit, elle était couchée en travers de ce dernier alors que ses pieds restaient sur le sol. Fixant le sommier du lit du dessus, la jeune femme allait s'endormir lorsque l'ouverture de la porte la perturba. Lançant un regard vers la personne qui allait entrer, elle se demander qui pourrait venir faire intrusion.

*Je ne pensais pas avoir de colocataire de si tôt.* se dit-elle.

La porte avait grincé timidement, dévoilant une jeune fille fluette. La peau rosée, de grands yeux innocents, de longs cheveux sages, on aurait dit une enfant en la voyant comme cela. Ses traits étaient fins, et un ruban venait trôner dans sa chevelure. Elle devait faire un minimum attention à son apparence pour coordonner ses accessoires et ses vêtements. Expression timide au visage, elle parut être l'inverse de Leona qui semblait désagréable ou, au mieux, indifférente. Elle s'accapara le lit du haut, en face de Leona.

"Bonsoir, apparemment je suis ta nouvelle camarde de chambre. Je me nomme Lumine Dream tu dois être Leona Ravier, j'ai vu ton prénom devant la porte et je suis enchantée de faire ta connaissance, lui fit-elle de sa petite voix.
- Salut miss, enchantée, lui répondit l'autre jeune femme en se redressant."

Soupirant, elle jeta un oeil par la fenêtre. Cela faisait un bout de temps qu'Ellie avait cessé de voler, mais n'était pas revenue. Etrange, cependant il était mieux qu'il en soit ainsi. Ses gardiens auraient effrayé la dénommée Lumine. Cette dernière ne semblait déjà pas très sûre d'elle, mais par définition elle devait avoir le même âge que Leona et donc la jeune femme avec les cheveux émeraudes ne souhaitait pas spécialement la ménager. Elle allait être neutre avec elle, par solidarité féminine, mais elle n'allait pas être la première à lui proposer une amitié de feu de dieux ! Par la transparante vitre, on avait une vue imprenable sur la cour ... Vue idiote, parcequ'à part observer des élèves s'énerver sur le béton grisâtre comme des fourmilles, il n'y avait pas grand chose à voir. Leona restait silencieuse. Elle vit le pyjama sur le lit de la seconde lycéenne. Maintenant qu'elle y réfléchissais, elle n'en avait pas : depuis toujours, elle dormait en sous-vêtements. Lumine semblait très souriante, malgrès sa timidité, ce qui surpris Leona.

"Dis-moi, tu nous viens d'où comme ça ? lui lança la jeune femme aux cheveux émeraude d'un air amusé."

"Je viens d'un petit village isolé à une journée de marche d'ici. Je suis donc venue a pieds jusqu'ici et toi ? lui fit Lumine avant de regarder par la fenêtre."

Leona n'avait pas envie de lui expliquer sa fugue, ses maltraitances subies, ses maladies incurables qui ne pouvaient lui permettre de vivre jusqu'à ses quarantes ans.

"Je viens d'Allemagne, lui confia-t-elle donc vaguement."

Ellie commença à rejoindre la vitre. S'approchant du carreau, Leona lui ouvrit la fenêtre. Le volatile de lumière vint se poser sur son avant-bras.

"Ah, ça fait du bien de se dégourdir les ailes ! s'exclama-t-elle. Oh, tu as invitée une amie ? fit l'aigle à l'attention de sa maîtresse.
- On va partager la chambre, répondit la concernée d'une faible voix."

Ellie, quant à elle, avait une voix aigue et féminine, vraiment jolie, surtout qu'elle mettait toujours une intonnation enthousiaste. Leona, elle, avait toujours une voix comme si elle était enrouée. Cela lui venait d'une opération qui avait mal tourné et qui lui avait abîmé irreversiblement ses cordes vocales. Malgrès tout, la jeune femme avait une voix mélodieuse quand elle chantait, ce qui ne lui arriva qu'une fois depuis cet incident. S'adossant sur le mur, elle se dit que la venue d'Ellie pouvait déranger Lumine.

"Ellie risque de nous rejoindre assez souvent, prévint Leona, elle est l'une de mes trois gardiens. Ca ne te dérange pas j'éspère ?"

Lumine fixa l'oiseau avec scepticisme. Elle semblait être dérangée par le terme "gardien" au pluriel. Il était normal de s'inquiéter des éventuelles autres créatures ... Fort heureusement pour les deux jeunes femmes, les deux autres gardiens de Leona n'allaient pas venir. Ellie était la seule à en avoir le droit. En fait, Raven et Zlark étant des hommes, même s'ils n'étaient pas humains, il était naturel qu'ils n'aillent pas à l'étage des filles.

"Non, pas le moins du monde. Elle peut venir quand elle veut.
- Mais ils sont tous gentils dans cette académie ! s'exclama Ellie. Je commence à me dire que tu es la seule à être détestable !"

L'oiseau se posa sur le bois du lit au dessus de celui de Leona. Elle taquinait souvent sa maîtresse comme cela. La jeune femme aux cheveux émeraudes se rasseya sur le lit. Elle soupira : c'était vrai qu'elle n'était pas des plus agréables à vivre. Leona sortit son cahier d'anglais. Elle savait parler plusieurs langues, l'Allemand qui était sa langue natale, le Français étant donné qu'elle était frontalière, l'Anglais car elle était internationale et elle avait également appris le Japonais sur le tas en adhérant à l'académie. Le français, en revenche, n'était pas son fort : elle avait du mal avec les temps du passé étant donné que chez elle il n'y a que le prétérit quasiment. Elle révisait donc ce fameux anglais. Quel ennui, elle avait déjà appris ça. Elle changea donc pour du français. Du vocabulaire, en fait. Leona avait déjà songé à faire légiste, elle était bonne en maths et trouvait un certain charme aux cadavres, cette fille vraiment glauque était anormale. Pour revenir au français, elle n'en avait plus l'utilité désormais, mais elle n'aimait pas abandonner quelque chose en cours de route alors elle s'était dit que maîtriser cette langue ne pouvait être mauvais pour elle. Comme l'a dit un philosophe : "Il n'y a pas d'effort intelectuel inutile.".

Lumine semblait énervée au vu de ses poings serrés et de son oeil contrarié. Elle sortit un cahier de mathématiques, qu'elle devait lire sans trop vraiment y prêter attention. Elle fixa ensuite Ellie, et lui dit d'un ton sec :

"Tu sais c'est pas très gentil de lui parler comme ça !"

Leona fit tilt. Personne n'avait le droit de parler comme ça à sa gardienne sans la connaître au préhalable. C'était une taquinerie parmis plusieurs, dite avec humour et spontanéité. La jeune femme ne sut pas si c'était du lard ou du cochon. Elle voulu réagir. Alors qu'elle prit son inspiration pour lui répondre une de ses réparties meurtrières, Ellie la coupa.

"Ne fais pas ça Leona. Elle ne me connaît pas, elle ne peut pas savoir quelles sont nos petites manies ! C'est totalement amical entre nous, jeune fille. On est un peu comme des soeurs, tu vois ? On se chamaille mais on s'adore. D'ailleurs je ne sais même pas comment elle s'appelle ! Tu pourrais faire un effort Leona !
- Ouais ouais ... Elle c'est Lumine. Lumine, je te présente Ellie. Voilà, les présentations sont faites. Heureuse ?
- C'est bien mistinguette ! Tu lis quoi ?
- Mon français.
- Oh ... Et d'ailleurs ils sont où Raven et Zlark ?
- Pour ce que j'en sais."

De leurs côtés, les deux derniers gardiens de Leona se concertaient. Ils réflechissaient à un moyen d'ateindre la chambre de la jeune femme sans effrayer les autres filles. Allaient-ils passer par la fenêtre ?

Telle une feuille d'automne décrochée de son arbre par le vent, Lumine sauta de son lit en toute légerté. Elle gardait son cahier de mathématiques en mains, et semblait décidée à réviser. Elle s'avança vers la fenêtre, l'ouvrit, prit une bouffée d'air et reprit ses révisions. D'en bas, Leona sentait la présence de Raven et Zlark, ses deux autres gardiens.

*Ils vont de nouveau faire une bêtise ... Et ils ne sont plus tout jeunes, ils n'ont pas besoin d'une mère. Franchement, comme si je n'avais qu'à faire le méchant flic.* se dit la jeune femme.

Malgrès tout ce qu'elle pouvait en dire, elle appréciait la vie qu'instauraient ses gardiens. Ils avaient le triple, voir le quadruple de son âge, mais demeuraient de grands enfants. Leona, à leur inverse, était jeune mais matûre. En même temps, elle avait presque vécu la moitié de sa vie, étant donné qu'avec ses problèmes de santé elle ne dépasserait pas la quarantaine. D'un air amusé, elle soupira. Elle était curieuse de savoir ce qu'ils allaient faire, surtout au vu de l'espièglerie qu'elle sentait dans leurs présences.

"Ellie, tu peux aller voir ce que font ces deux zigotos ?
- Ca marche, chef !
- Merci."

Quelques temps s'écoulèrent avant que, remontant expressemment le long de l'immeuble, l'oiseau de lumière arrive à la fenêtre.

"Je serais toi Lumine, je ferais un pas en arrière, prévint Leona sans broncher de son cahier."

Lumine se décala de la fenêtre, empoignant son cahier de cours. D'ailleurs, Leona avait pu constater que sa colocataire avait un peu de mal avec cette matière qu'est les mathématiques. La première chose qui lui passa par la tête, ce fut d'éviter de faire remarquer que c'était sa matière de prédilection. Elle se disait qu'avec la "chance" qu'elle avait, elle serait bonne pour donner des cours particuliers. Très peu pour elle.

Peu de temps après, escaladant l'échelle posée au rebord de la fenêtre, Raven pointa le bout de son museau. Où avait-il pu trouver une échelle assez grande d'ailleurs ? Leona releva la tête, intriguée. Le lycan finit par avoir la tête au niveau de l'ouverture de la vitre, ce qui agrava l'air incompréhensif de la jeune femme. L'homme-loup était essoufflé, et regarda en bas. Zlark devait certainement être en dessous.

"Maintenant Zlark tu vas arrêter de monter ou je vais avoir le loisir de m'assoire sur ton crâne.
- Essaye et je te mange tout cru !
- Oh même avec ton estomac, tu sera pas prêt de me digérer !"

Le débat se faisait à l'aveugle, Leona savait reconnaître qui parlait car les voix étaient très différentes. Raven avait une voix simplement grave, alors que Zlark avait un ton nasillard. Le lycan jeta un oeil dans ceux de Lumine, puis s'intéressa à sa gardienne après avoir lancé un "Bonjour !" jovial à l'autre jeune fille. Il escalada le rebord avec difficulté, et observa Zlark monter à son tour.

"Je peux savoir ce que vous faites ici ? questionna Leona.
- Bah on voulait savoir comment était la chambre, expliqua Raven.
- C'est laid ! s'exclama ensuite Zlark.
- Vous allez faire peur à Lumine, en plus z'êtes pas sencés arriver aux dortoirs des filles.
- Les hommes sont des créatures étranges ... fit Ellie."

Leona se leva, et poussa les deux créatures vers l'exterieur en un "Allez, oust !" humouristique. Les deux gardiens s'éxécutèrent, et descendirent comme ils étaient remontés. L'échelle, d'ailleurs, semblait peu sûre : les deux bonshommes avaient du la construire étant donné qu'il y a peu de chance qu'ils en trouvent ou en achètent de si grandes.

"Bon, bah voilà les deux autres gardiens. Il ne reviendront plus, crois-moi, fit la jeune femme aux cheveux verts à sa colocataire."

Elle soupira puis s'adossa au mur, reprenant ses révisions.

Lumine fit un sourire franc avant d'annoncer :

"T'en fais pas ils me dérangent pas tant qu'ils préviennent de leur visite auparavant .
- Il ne viendront plus quand même, je ne tiens pas tellement à les voir débarquer quand ils le souhaitent, même en prévenant."

Sur ces mots, Leona s'asseya à nouveau sur le lit. Les draps étaient vraiment sommaires, blancs, mais le matelas, même s'il n'était pas spécialement confortable, semblait agréable. L'oreiller quant à lui était épais et moelleux, banal également, couvert d'une taie blanche comme neige.

*Pas pratique dans une chambre de lycéen, étant donné que la plupart font tout et n'importe quoi dans les chambres.* pensa la jeune femme.

Elle s'allongea de tout son long sur son lit, mains sous la tête, et fixa un instant le sommier du lit du dessus. Il était sobre également, un genre de faux bois, mais semblait résistant. Son regard serpenta ensuite vers les couches d'en face. Elles étaient identiques.

*Au moins, ici, ils ne font pas de favoritisme.* se dit-elle ensuite.

Elle fouilla peu après dans son sac, y sortit son téléphonne. Elle navigua vers l'onglet "Applications & Jeux", et lorsqu'elle le trouva, elle choisit un jeu débile. Le concept : contrôler un serpent pour aller manger les aliments (qui, au passage, ressemblaient à des fientes d'oiseau) et de ce fait le faire grandir, sans se mordre la queue. Vraiment débile, mais la lycéenne s'ennuyait alors pourquoi pas ?
Première partie, un échec. Elle n'avait pas battu son record. Frustrée par cette défaite, Leona entreprit d'en faire un deuxième, qui se solda par une convainquante réussite ! La jeune femme aimait jouer aux jeux vidéos. Là, en l'occurence, elle n'avait que ce jeu du serpent, mais ses goûts se penchaient sur les jeux de combat 2D. Le "old school", pour sûr, elle aimait ça !
Troisième tentative. Un échec par rapport à la précédente. Elle fut contrariée, pas parcequ'elle n'aimait pas perdre, mais parcequ'elle se lassait vite. Elle rangea son téléphonne dans son sac à nouveau, puis en sortit un livre. C'était un vieux classique Allemand, écrit dans cette même langue.
Cela ne posait évidemment pas de problèmes à Leona, puisque c'était sa langue natale, et cela lui faisait du bien de faire comme si elle "revenait" à son pays.

Lumine, quant à elle, rangea son cahier de mathématiques et s'asseya sur son lit. Elle sortit un cahier de dessin, et fit onduler son crayon sur le papier. Comme si elle se lassait du crayon de papier, elle empoigna peu après les couleurs, concentrée.

Leona lisait toujours son histoire : une version améliorée du court conte de Siegfried contre le dragon.
"Siegfried schwingt sein Schwert, und als Fechtmeister, begann seinen Kampf gegen den Drachen. Die Klinge wirbelte in Sandstein seiner Wünsche, wie eine Puppe am Ende eines Drahtes. Das Tier, der wiederum Atmung Feuer und gab schweren Schlag seines Schwanzes und Klauen. Die Show war sehr schön."
En français, ça donnait plutôt ça : "Siegfried brandit son épée, et tel un maître d'arme, débuta son combat contre le dragon. La lame virevoltait au grès de ses envies, telle une poupée au bout d'un fil. La bête, quant à elle, crachait du feu et donnait de violents coup de queue et de griffes. Le spectacle était magnifique."

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas lu cette histoire, la dernière fois ce fut dans le train qui allait l'emmener à l'autre bout de l'Allemagne. C'était son livre de voyage, et bien qu'elle le trouve absurde, elle aimait beaucoup le style d'écriture de l'auteur ce qui est, comme tout le monde le sait, un point à ne pas négliger. Une phrase annoncée d'une petite voix sortit Leona de sa lecture :

" Ca fait longtemps que tu es ici ? avait demandé la jeune fille.
- Non, pas vraiment. La plupart des gens m'appellent encore parfois la nouvelle d'ailleurs. J'éspère qu'avec la récente vague de nouveaux élèves, ça changera. Tu faisais quoi, toi, avant d'arriver ici ?"

Leona se rendit compte de l'idiotie commise. Non pas qu'elle se préocupe des douleurs internes de sa colocataire, mais c'était bien pour elle qu'elle s'en faisait. Certainement, Lumine, après avoir répondu (ou pas d'ailleurs), lui aurait retourné la question, et Leona aurait du lui répondre. Bah, après tout, elle n'était pas obligée de rentrer dans les détails ... Quoi qu'il en soit, elle ne désirait pas expliquer les maltraitances qu'elle avait subies. Un élève était au courant, c'était déjà assez.
Elle se replongea donc dans sa lecture en attendant la réponse de son interlocutrice.

Lumine se perdit quelque temps dans ses pensées, faisant quelque peu patienter Leona, puis répondit :

"Humm ... Je dirai que tentais d'avoir une vie normale malgrès mes pouvoirs, mais ce fut un échec et je suis venue ici afin d'apprendre a les maîtriser pour pouvoir prouver aux gens que je ne suis pas un monstre malgrès qu'ils disent."

Lorsqu'elle eut finit, elle s'allongea sur son lit, fixa le plafond, et soupira. Elle n'avait pas posé la même question à Leona, ce qui rassura cette dernière qui ne savait plus trop quoi dire. Elle se posta à l'avant de la fenêtre, appuyée sur le mur et fixant l'horizon à travers la vitre fermée. Une mélodie raisonna dans son esprit. Un somptueux mélange de piano et de deux violons, dans un ballet enigmatiquement tragique. Le soir pointait déjà le bout de son nez, le ciel était d'un orangé vif saupoudré de nuages aux reflets violets, tranchant parfaitement avec le feuillage verdoyant des arbres.
Leona compta le tempo de cette musique qui venait lui chatouiller les oreilles ... Depuis combien de temps cela fait-il qu'elle n'avait pas joué du piano ? A l'époque, faute d'argent, elle avait appris seule sur un clavier de l'hôpital dans lequel elle avait été admise. Elle jouait bien, et maintenant, elle avait envie de recommencer. Le piano, voilà la seule chose qu'elle ne regrettait pas de son passé. La musique s'intensifiait, et bientôt Leona ne put s'empêcher de bouger ses doigts comme sur l'instrument, jouant le morceau qu'elle entendait dans sa tête. Elle voulu fermer les yeux pour apprécier un peu plus, mais elle s'était dit qu'elle allait avoir l'air ridicule, et puis d'un autre côté la vue du coucher de soleil n'était point désagréable. Elle songea peu après à l'éventuelle existence d'une salle de musique, et sans transition, se retourna pour s'adresser à Lumine.

"Tu joues d'un instrument de musique ? lui avait-elle demandé."

Pourquoi elle avait posé cette question ? Elle ne le savait pas. Elle trouvait d'ailleurs cette question stupide, pourquoi s'intéresserait-elle aux activités musicales de sa colocataire ? Elle supposa que c'était simplement parcequ'elle s'intéressait à la musique en général.

Se redressant sur ses bras, Lumine observa un instant Leona puis sourit. Elle descendit de son lit avec sa légèrté habituelle, et fouilla dans ses affaires pour en sortir une flûte traversière rangée dans un étui somptueux. Avec un sourire nostalgique, elle l'avait caressé puis s'avança vers la fenêtre aux côtés de Leona.

"Je joue de la flûte et un peu de violon. Et toi ? lui demanda-t-elle."

La concernée observa l'extérieur un moment, puis se décida par répondre.

"Je joue du piano."

Elle n'était pas sûre d'avoir répondu correctement. Avec tout le temps qu'elle avait passé sans même frôler l'instrument, elle s'était dit qu'elle avait perdu la main. Malgrès tout, elle sentait dans ses doigts cette passion dévorante pour la musique, elle pouvait déceler toutes les notes qu'elle entendait, mais ironiquement, elle ne savait pas lire les partitions. Elle avait appris à jouer à l'oreille, mais ce qu'elle appelait le "vulgaire papier" ne l'aidait en rien. Elle s'allongea sur son lit, et reprit son livre. C'était une histoire qui, pour elle, était pathétique. Comme par hasard, le beau et grand chevalier Siegfried avait libéré sa princesse des griffes de l'énorme de dragon, une fin si générique, cela la répugnait. Elle préférait les histoires qui se finissaient mal, car c'était plus vrai, mais au final si on écrit de la fiction autant la pousser jusqu'au bout. Elle se lassa de son bouquin. Elle soupira car elle s'ennuyait. Elle fit craquer ses doigts (qui, il y a peu comme toujours, s'étaient déboîtés), puis se rasseya sur le lit. Elle tournait en rond, comme un poisson rouge coincé dans un bocal, puis dégaîna son téléphonne à nouveau. Ce jeu du serpent agissait comme une malédiction sur elle !
Sa première tentative fut une réussite ... Mais la seconde fut un échec total : elle s'était trompée de touche et s'était dévorée la queue sans même avoir mangé un sandwiche au passage. Elle ne savait même pas que quelque chose de si court pouvait exister. Frustrée jusqu'à la moelle, elle songea à faire l'achat d'un ordinateur portable. Au moins, elle pourrait étudier convenablement sur la toile, en dehors de la salle d'informatique, et surtout jouer à des jeux plus attrayants que le serpent qui lutte pour pas se bouffer lui-même ... Elle devait cependant attendre d'avoir les moyens !

Ayant rangé ses affaires, Lumine sortit un cahier de musique qui semblait usé et plus très jeune. Elle devait y attacher une grande importance pour tenter de le recoller à ce point, mais Leona ne le releva pas. La collocataire de cette dernière se hissa sur son lit et proposa de se ballader.

"Tu sembles t'ennuyer, ça te dirai de te promener avec moi ? Enfin si ca te dérange pas, hein."

Qu'allait-elle bien lui répondre. Très casanière, la concernée ne souhaitait pas particulièrement se "ballader". D'un autre côté, elle n'avait pas grand chose à faire ici non plus, et elle se trouva dans une impasse. Cette idée de devoir faire un choix si ridicule la fit sourire : durant toute cette dernière année, elle n'avait eu qu'à prendre des décisions cruciales. Entre faire des petits boulots à droite ou à gauche, fuir son père et gérer ses gardiens, sa fugue avait été très mouvementée. Elle se dit que marcher un peu l'occuperait, alors elle accepta.

"Si tu veux, avait-elle fait. Je prends juste mes affaires."

Sur ces mots, elle se leva et, doutant que le temps se couvrirait (souvenez-vous, ses cicatrices grattaient), ôta la veste qu'elle portait là pour en prendre une plus grosse à capuche. Sous ces grosses vestes se cachaient toujours un petit débardeur ou t-shirt noir suivant le temps où il y avait un petit quelque chose. Ce coup-ci, c'était Amaterasu du jeu Okami. Elle enfila sa veste, d'ailleurs elle n'avait jamais fais attention que c'était cette veste là qu'elle portait le soir funeste où son père lui avait brisé les membres. Pour preuve, il y avait un trou relativement discret dans le coude, il avait été fait lorsque son os fracturé et donc coupant avait déchiré la peau. Elle s'en souvint sans douleur, juste un peu de rage et de nostalgie vinrent se mélanger dans son esprit. Elle fit un sourire discret à la vue de cet innocent trou, puis s'adressa à sa colocataire.

"On peut y aller ? lui avait-elle demandé."

Pendant que Leona réfléchissait à son passé, Lumine enfila un pantalon et un débardeur blanc surmontés d'une veste à capuche noire, semblable à celle de la première jeune femme. Elle empoigna un sac où étaient rangées des affaires qui devaient être importantes, puis après avoir entendu la question de Leona répondit tout sourire en attachant ses cheveux :

"Oui on peut y aller je suis prête."

La jeune femme aux cheveux émeraudes suivit sa collocataire après avoir remonté la fermeture de sa veste et niché ses mains dans ses grosses poches, referma la porte derrière elle et constata avec un peu d'amusement que l'autre lycéenne était perdue. Sourire narquois mais pas bien méchant au lèvres, elle pointa la direction de la sortie, et resta quelques minutes en retrait. Les deux collocataires arrivèrent bientôt dehors, le doux coucher de soleil venait embrasser les arbres et c'était en somme magnifique. Mais Leona ne le remarqua pas, elle avait comme le pressentiment que la pluie allait tout gâcher. Elle vit au loin ses trois gardiens, boudant comme des enfants pourris gâtés, et l'observant avec des yeux ronds comme des balles de ping pong.

*Je ne vais pas les laisser comme ça ...* se dit-elle.

Alors, elle décida de proposer à Lumine de marcher pendant qu'elle allait les raisonner.

"Je te laisse deux secondes, ils me font un peu la tête parceque je les ai mis dehors, tu peux marcher j'te rejoins après, lui fit-elle en prenant un peu de distance."

Elle arriva bien vite au niveau de ses camarades et, mains posées sur les hanches, elle les regarda d'un air de dire "Bon, qu'est-ce qu'il y a encore ?".

"Tu nous as jetés dehors, fit Ellie qui dramatisait comme à son habitude.
- Pas toi Ellie, mais j'estime que si ces messieurs sont, comme ils l'indiquent, de vrais messieurs, ils n'ont rien à faire dans la chambre ou dans le dortoir des filles. J'vous fais pas la tête pour autant, vous pouvez marcher avec nous si vous voulez."

Comme des enfants à qui on avait donné des bonbons, ils avaient des étoiles dans les yeux. D'un air amusé, Leona approcha de Lumine accompagnée de ces trois énergumènes. Malgrès les apparences, elle les adorait.